En ce moment, j’accompagne une auteure pour la promotion de son livre, lequel aborde de nombreux sujets sociétaux, tels que la place de la femme dans l’islam, l’intégration post-décolonisation ou encore l’homoparentalité. Notre projet était d’organiser des événements sympas pour engager la discussion, l’échange et pourquoi pas un débat d’idées autour d’un des thèmes du livre. La période pré-électorale s’y prêtant à merveille.
Je dois préciser ici que le roman en question est édité par une maison d’édition dont le contrat ne garantit ni diffusion ni distribution mais une disponibilité par impression à la demande. Et oui, il s’agit d’un contrat à compte d’éditeur. Je le dis car cela à son importance.
Bref.
Mon premier réflexe a donc été de m’adresser à des libraires. La Covid disparait peu à peu, le printemps arrive et les librairies sont désormais reconnues comme commerces essentiels. Ainsi je me faisais Candide jugeant que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, et au vu l’intérêt du livre et du talent de l’auteure, je ne voyais aucun obstacle au projet 😎.
Je ne vais pas créer un suspens inutile : sur les huit librairies démarchées, j’ai reçu huit refus directs. Huit refus sans qu’aucun des libraires sollicités n’éprouve une quelconque curiosité pour le livre. Aucun n’a voulu lire la quatrième de couverture. Aucun n’a même regardé la première de couv. Aucun.
Je sais les libraires très occupés, et qui ne l’est pas de nos jours, mais là, je suis tombée des nues.
Et vous savez quoi ? Les seules phrases que l’on m’a adressées ont systématiquement été :
✔️ Je ne trouve pas le livre dans mon logiciel ;
✔️ Qui est l’éditeur ?
✔️ Non, on ne fait pas d’impression à la demande, ni de dépôt-vente madame.
…OK. C’est bien dommage car le livre vaut le détour, mais visiblement, j’étais hors sujet 🤨.
Alors, j’ai revu ma stratégie, et je me suis éloignée du monde de l’édition, pour me diriger vers d’autres structures dont le cœur d’activité faisait écho au livre présenté.
Et là, bingo 🔥.
Mes interlocuteurs ont tout de suite voulu en savoir davantage et ont demandé à recevoir un exemplaire du livre. J’ai ainsi organisé une lecture-débat dans un restaurant littéraire, et actuellement, une table ronde et un jeu concours sont en préparation dans une école.
🤔 Que s’est-il passé pour que le diffuseur soit désormais la condition légitime d’accès au livre ? et de quel droit lui revient cette légitimité ?
Dans un contexte où toute la profession observe craintivement le rapprochement Editis/Hachette, il semble que le mal soit déjà fait. La concentration des éditeurs existe et les plus gros ce sont déjà assuré une diffusion prospère.
Demandez à n’importe qui de citer trois noms d’éditeurs, puis trois noms d’auteur.e.s : il est à parier que les réponses se trouvent du côté des grands groupes d’édition.
Pourquoi voit-on de moins en moins de différence sur les tables d’une librairie à l’autre ? Pouvons-nous conclure que la forme a pris le dessus sur le fond ?
Peut-être que mon expérience est malheureuse et que je suis tombée sur les mauvais libraires. Et qu’après tout, mon action très locale aurait connu une issue différente dans une autre ville que Paris. Ou alors, ce n’était vraiment pas le bon moment. Huit fois de suite.
Mais quand bien même je m’interroge sur ce système en vase clos : ne sommes pas en train de créer les conditions de notre propre censure ?
Bradbury imaginait un monde où l’on brulait les livres. Mais la réalité d’un monde dans lequel nous lisons tous la même chose me parait tout aussi dystopique.
Cathy Mandonnet
Accompagnatrice d’auteurs indépendants